3 décembre 2014

Cours n° 7 - Psychologie et psychologues dans l'institution scolaire

A- L’invention de la psychologie scolaire

1. Alfred Binet: le précurseur

Alfred Binet (1857-1911)
Document 1: La pédagogie
« Un exposé complet de l'enseignement comprend trois subdivisions : ce qu'on enseigne — ce sont les programmes ; comment on enseigne — ce sont les méthodes ; qui on enseigne — ce sont les enfants » Alfred Binet, Les idées modernes sur les enfants, 1909, p. 7


Document 2: Le projet d’une pédagogie fondée sur la psychologie scientifique
« On trouvera donc ici les résumés et les conclusions de ces études, qui ont été désignées, quelquefois avec enthousiasme, quelquefois aussi avec dédain, en ajoutant au mot de pédagogie les qualificatifs de scientifique, moderne, expérimentale, physiologique, psychologique, ou même en forgeant le mot nouveau de pédologie. J'ai cherché à juger quels sont, parmi tant de travaux publiés, ceux qui méritent d'être introduits dans la pratique de l'enseignement, ceux qu'on doit en rejeter, et dans quelle mesure les méthodes nouvelles doivent faire progresser la pédagogie. C'est là une des questions les plus importantes qui se posent de notre temps. » Alfred Binet, Les idées modernes sur les enfants, 1909, p. 7

Document 3: L'élève
« L'enfant, pour ces pédagogues peu avertis, est une quantité négligeable. On semble admettre a priori que l'enfant n'est pas autre chose qu'un homme en miniature, homunculus, avec des atténuations en degré de toutes les facultés de l'adulte; on admet encore qu'il existe un enfant type, et auquel tous ressemblent plus ou moins ; et on méconnaît ainsi toutes les différences qui existent, non seulement entre leurs caractères, leurs manières de sentir, mais aussi entre leurs manières de penser, et leurs aptitudes intellectuelles. Beaucoup de maîtres sont dans cette erreur ; ils ont devant eux une classe composée de 40 à 60 élèves, et quelquefois davantage; au moment où ils répandent l'enseignement sur cette petite foule enfantine, ils fixent leur attention sur la valeur de l'enseignement en lui-même, considéré in abstracto, dans l'absolu, et non sur les qualités de réceptivité des enfants, sur leurs caractères et leurs aptitudes, et sur la nécessité de s'adapter à leurs besoins et à leurs capacités. »
Alfred Binet, Les idées modernes sur les enfants, 1909, p. 7-8


2. Henri Wallon: une psychologie scolaire au service d’une école pour tous

Henri Wallon (1879-1962)
Document 4: La psychologie génétique
«  La psychologie génétique est celle qui étudie le psychisme dans sa formation et ses transformations. Elle peut être à l'échelle du monde vivant, de l'espèce humaine, ou de l'individu. Dans le premier cas un de ses problèmes fondamentaux est de découvrir ou de définir les origines biologiques de la vie psychique. »
Wallon Henri, « La psychologie génétique »,  Enfance, n°3-4, 1959. pp. 220-231.










Document 5: La psychologie scolaire: un apport du plan Langevin-Wallon (1947)
IV. Organes de contrôle et de perfectionnement
2° Le contrôle psychologique s’adresse aux élèves. Il n’existe encore à titre d’expérience et officieusement que dans quelques groupes scolaires de la région parisienne ou de la province
Il répond à la nécessité de connaître l’enfant dans ses particularités individuelles aussi bien que dans son évolution psychologique. Les fonctions d’enseignement sont trop absorbantes pour laisser aux maîtres le loisir d’étudier et d’appliquer les méthodes d’investigation qui permettent de déterminer éventuellement pour chaque enfant les causes intellectuelles, caractérielles ou sociales de son comportement scolaire. Ils doivent pouvoir soumettre le cas à un spécialiste des méthodes psychologiques. Ces examens psychotechniques devront contribuer à l’orientation scolaire des enfants
D’autre part, il faut pouvoir apprécier les conséquences psychologiques des méthodes éducatives. Le bon rendement scolaire n’est pas toujours un critère suffisant. Certains procédés pédagogiques peuvent être très efficaces, mais au prix d’une plus grande fatigue pour l’enfant ou au détriment d’autres aptitudes utiles, telles que la spontanéité, l’initiative, etc. Des épreuves psychologiques bien choisies peuvent seules permettre d’établir ce bilan.
Enfin, les programmes eux-mêmes doivent être pour chaque classe adaptés aux aptitudes propres à chaque âge, et sans cet ajustement il n’y a pas de précision possible sans l’emploi de critères psychologique.

Il est donc indispensable de prévoir, comme l’ont fait les réorganisateurs de l’enseignement dans d’autres pays, la création d’un corps de psychologues scolaires. Ils devront avoir une justification pédagogique suffisante (diplômes universitaires, et, s’il se peut, pratique scolaire). Ils devront en outre avoir suivi un enseignement théorique et pratique de psychologie que sanctionnera un diplôme reconnu par l’Etat et délivré par l’Université tel que le diplôme de psychologie pédagogique actuellement délivré par l’Institut de Psychologie de l’Université de Paris. Ils exerceront leurs fonctions, comme le personnel enseignant, sous la responsabilité des autorités universitaires. Ils seront en outre soumis au contrôle technique des laboratoires ou centres d’études psychologiques existants ou à créer auprès des universités. (…)

À ce contrôle psychologique devra s’ajouter un contrôle physiologique qui rentre dans les attributions des médecins scolaires. Ils se borneront plus au dépistage rapide de certaines maladies, mais ils devront suivre la croissance de chaque enfant et se tenir en rapport avec les maîtres et les psychologues pour noter les concomitances qui pourront s’observer dans son comportement scolaire, Psychique et biologique. »



Document 6: Le psychologue scolaire selon Wallon
« La psychologie scolaire doit fonctionner au profit exclusif des enfants, c'est-à-dire éventuellement de chaque enfant pris individuellement. Elle n'est pas un instrument administratif, de plus son but n'est pas de servir à une sélection qui refuserait à certains enfants, et même au plus grand nombre, les possibilités de culture qui doivent être mises à la portée de tous.
Il répond à la nécessité de connaître l’enfant dans ses particularités individuelles, aussi bien que dans son évolution psychologique. Les fonctions d'enseignement sont trop absorbantes pour laisser aux maîtres le loisir d'étudier et d'appliquer les méthodes d'investigation qui permettent de déterminer éventuellement pour chaque enfant les causes intellectuelles, caractérielles ou sociales de son comportement scolaire. Ils doivent pouvoir soumettre le cas à un spécialiste des méthodes psychologiques. Les examens psychotechniques devront contribuer à l'orientation scolaire des enfants."
Wallon Henri, « Pourquoi des psychologues scolaires? », Enfance, n° spécial, 1952,  pp. 373-376.


Document 7: Le psychologue scolaire, nouvel acteur de l'école
« En approchant de cette école où j'avais enseigné pendant tant d'années, j'éprouvai soudain une certaine inquiétude. Comment aborder avec un nouveau visage toutes celles avec lesquelles j'avais travaillé si longtemps en équipe sur les seuls problèmes pédagogiques ? Peut-être penseraient-elles que j'avais déserté mon poste par intérêt personnel, ou par désir d'indépendance ? Ne craindraient-elles pas un certain contrôle de leurs méthodes ou de leurs résultats ? Il fallait donc ménager des susceptibilités légitimes ; vaincre des réticences justifiées, en leur prouvant que je venais dans l'unique but de les aider par une meilleure connaissance de leurs élèves, par des méthodes d'investigation approfondie, leur permettant de mieux comprendre les causes de certains échecs scolaires ».
Témoignage de Marguerite Bourdier publié dans la revue Psychologie scolaire, 1988, « Accueil d'un psychologue scolaire en 1947 dans un établissement parisien »


Document 8: L'activité des premiers psychologues scolaires


Merlet Lucette, « Évolution des activités des psychologues scolaires parisiens du premier degré de 1947 à 1952 », Enfance. Numéro Spécial, 1952, « pp. 439-446.



B- Le glissement vers l’inadaptation scolaire (années 1960-1970)

1. Une renaissance ambiguë

Document 9: le retour des psychologues scolaires
« Les psychologues scolaires de la Direction des enseignements élémentaires et complémentaires, en particulier, ont à remplir une importante mission où le dépistage et la surveillance de l'enfance inadaptée tiendront une grande place. Mais, dans la mesure où cette mission leur en laissera la possibilité, ils seront associés a l’œuvre générale d'orientation scolaire en collaboration avec les psychologues de la Direction des enseignements classiques et modernes, les conseillers psychologues du B.U.S. et les conseillers d'orientation scolaire et professionnelle.» (Circulaire du 15-12-60, p. 53-54).
« Les psychologues scolaires assurent en propre le dépistage, et en certains cas, le traitement de l'enfance déficiente.’ (Circulaire du 6-09-62, p. 54).


2. La structure d’un double réseau

CMPP d'Aubervilliers
Document 10: Décret n° 63-146 du 18 février 1963
"Les centres médico-psycho-pédagogiques pratiquent le diagnostic et le traitement des enfants inadaptés mentaux dont l’inadaptation est liée à des troubles neuro-psychiques ou à des troubles du comportement susceptibles d’une thérapeutique médicale, d’une rééducation médico-psychologique ou d’une rééducation psychothérapique ou psychopédagogique sous autorité médicale.
Le diagnostic et le traitement sont effectués en consultations ambulatoires sans hospitalisation du malade.
Ils sont toujours mis en œuvre par une équipe composée de médecins, d’auxiliaires médicaux, de psychologues, d’assistantes sociales et, autant que de besoin, de pédagogues et de rééducateurs.
Ils ont pour but de réadapter l’enfant en le maintenant dans son milieu familial, scolaire ou professionnel et social.
Le traitement comprend une action sur la famille qui peut recevoir au centre toutes les indications nécessaires à la réadaptation de l’enfant et éventuellement toutes les thérapeutiques lorsque, dans l’intérêt de l’enfant, elles ne peuvent être dispensées ailleurs. Les soins s’étendent à la postcure."
  • Groupes d’aide psycho-pédagogique (GAPP)
Document 11: Circulaire n° IV-70-83 du 9 février 1970
« Le groupe d’aide psycho-pédagogique est une équipe constituée par un psychologue et un ou plusieurs rééducateurs. Il a la charge d’un ou de plusieurs groupes scolaires et veille à l’adaptation des élèves en participant à l’observation continue dont ils sont l’objet. Il intervient sous forme de rééducations, psychopédagogiques ou psychomotrices, pratiquées individuellement ou par petits groupes dès les premiers signes qui font apparaître chez un enfant le besoin d’un tel apport. Il adresse à la commission médico-pédagogique compétente, par les voies normales, ceux des élèves qui en raison de la nature des difficultés rencontrées, de leur gravité ou de composantes pathologiques apparentes ou pressenties doivent faire l’objet d’un examen multidisciplinaire approfondi et peuvent relever de techniques autres que celles dont dispose le groupe. »

  • Les Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté (RASED)
RASED: créé par la circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990

Document 12: Activité et effectifs des RASED









Document 13: La psychologisation de l'échec scolaire
« Ce plaidoyer s’enracine dans le constat récurrent d’une tendance forte et diffuse à la psychologisation des processus d’apprentissage, notamment de la part des enseignants, mais tout aussi bien de la part de l’institution scolaire elle-même à travers ses modes ordinaires de gestion de la difficulté d’apprentissage. Cette psychologisation fait obstacle à la démocratisation scolaire dans la mesure non pas nécessairement où elle serait porteuse d’une mésinterprétation des situations d’apprentissage considérées, mais où, en focalisant l’attention sur ce qui s’y joue dans l’ordre du psycho-affectif, elle favorise la méconnaissance de leurs enjeux cognitifs et didactiques. Mon intervention, en ce sens, est un appel à se défier de la propension à rendre compte de toute la réalité à partir d’un point de vue disciplinaire donné. Ce n’est pas parce qu’une situation a une face psychologique incontestable qu’elle peut y être réduite. »
Jean-Pierre Terrail, « La psychologisation de la difficulté intellectuelle, obstacle à la démocratisation scolaire », Intervention au Congrès des psychologues scolaires, Lille, 2005, Le Journal des psychologues, n° 236, 2006)

Document 14: La diversité des approches

« il faut admettre un fait au fond très simple : c’est que l’enfant n’est pas d’emblée un « être social », au sens sociologique du terme. Un enfant, surtout très jeune, est avant tout, voire exclusivement, un membre de sa famille. Cela ne signifie pas que le cadre social global est sans influence sur lui, mais cela signifie que ce cadre social global n’influe sur lui que par l’intermédiaire de l’influence qu’il exerce sur ses parents. Or, les parents peuvent protéger plus ou moins efficacement leurs enfants des influences négatives de ce cadre social global. (…)
C’est ainsi que le social des parents devient le psychique de l’enfant : l’enfant ne souffre pas du chômage de ses parents, mais de la destruction par le chômage des capacités parentales de ses parents. À l’inverse, si les parents parviennent, pour quelque raison que ce soit, à résister à la destructivité du cadre social à leur encontre, ils peuvent en protéger parfaitement leur enfant, phénomène que l’on retrouve constamment dans tous les récits de réussite paradoxale. »
Daniel Calin, « Les RASED et le mouvement psychopédagogique, n° 29, Sociologie et Santé , décembre 2008, p.193-208.


Prolonger:
Comment la médicalisation de la difficulté scolaire détruit le métier enseignant 
Médicalisation de l’échec scolaire et pouvoir enseignant