14 octobre 2014

Cours n° 1 - La mesure de l’élève: fonctions et usages des statistiques (XIXe-XXe sièce)

Document 1 : L’usage social des statistiques

L’édito éco, Dominique Seux, mardi 3 septembre 2013, France Inter
Rentrée des classes : trois idées reçues
Ce matin, c’est donc la rentrée des classes. Vous puisez aux meilleures sources statistiques pour planter le décor.
Oui, on va évoquer quelques idées reçues, vraies ou fausses. Bien sûr, il est tentant de se méfier des chiffres parce qu’on leur fait une chose et son contraire, parce qu’ils sont la forme la plus élaborée du mensonge (comme l’a dit Churchill) mais en prenant des sources fiables, celles de l’OCDE, on peut avancer quelques points incontestables.
Première idée reçue : on dépense plus d’argent en France qu’ailleurs pour l’éducation, pour des résultats très moyens.

C’est faux, en tous cas pour la première de vos deux affirmations. Les dépenses consacrées à l’éducation ne sont pas, en moyenne, plus élevées que dans les autres pays développées. En 2010, dernier chiffre connu, elles se sont élevées à 6,3% du PIB, de la richesse nationale, exactement comme la moyenne de l’OCDE. Il n’y a donc pas de gâchis global ! Pour l’anecdote, le pays qui dépense le plus, c’est la Corée, 7,6% du PIB. Mais la particularité de la France est qu’elle dépense plus pour l’enseignement secondaire que les autres, mais moins pour le primaire et le supérieur. Le coût d’un lycéen est 31% plus élevé qu’ailleurs.
Deuxième idée reçue, (je l’évoquais à l’instant), les résultats scolaires sont très moyens.
Là, c’est vrai ! Les résultats de l’enquête internationale PISA conduite par l’OCDE sont clairs. Selon la dernière publication, la France, pour les tests portant sur la lecture, arrive en 18ème position sur 34, ce qui n’est pas formidable. Derrière la Finlande, la Corée (toujours elle) mais aussi la Pologne. Le plus ennuyeux est que les résultats se sont dégradés depuis dix ans, surtout pour les garçons. Tout le milieu de l’éducation attend les résultats de la vague 2013, qui seront diffusés début décembre. Les experts mais aussi Vincent Peillon, s’attendent à une nouvelle dégradation.
Troisième idée reçue : les élèves français travaillent moins que les autres. Là, la réponse est plus connue.
Cette idée est à la fois vraie et fausse. C’est vrai, les élèves français ont beaucoup moins de jours de cours, par exemple en primaire – c’est tout l’enjeu du retour de la semaine de 4,5 jours. Ils travaillent 144 jours dans le primaire, contre 208 en Allemagne et 190 en Grande-Bretagne ! Trente-six semaines, c’est très très peu. Mais c’est faux parce que le volume horaire annuel, lui, est considérable. Trop d’heures dans trop peu de journées : cela n’a aucun sens.
Peut-on tirer une conclusion, Dominique ?
Il y a une conclusion chiffrée qui montre les marges de progression du système éducatif, si on lui donne pour mission l’insertion dans l’emploi. C’est Eurostat qui la donne. La France a, sur les 28 pays européens, le 5ème taux de chômage des jeunes le plus élevé. 26%. Cela ne veut pas dire qu’un jeune sur quatre est au chômage (comme on l’entend tout le temps) puisque la plupart sont étudiants, mais qu’un jeune actif sur quatre l’est. C’est évidemment une honte.


A- Construction scientifique de l’élève et bureaucratisation de l’école


Le conseil de révision par Pierre-Georges Jeanniot (1848-1934), fin du XIXe siècle, Musée des Beaux-Arts de Pau


  • L’élève objet d’un nouveau savoir scientifique

Document 2 : Le laboratoire de la Grange aux Belles, Binet à droite sur la photo. D’après Lees (1907)



Alfred Binet (2ème à partir de la gauche) effectuant une expérience sur les temps de réaction avec un cylindre de Marey
Cylindre de Marey

Document 3 : La mesure scientifique selon le psychologue Alfred  Binet

« L'examen et la mesure du développement physique des enfants n'ont pas seulement un intérêt de pédagogie ; toutes ces questions, quand on les comprend bien, débordent les intérêts propres de l'école, et prennent une véritable importance sociale; car elles mettent en jeu l'avenir de notre race et l'organisation de notre société. Après avoir constaté que le peu de développement intellectuel de certains écoliers est une expression d'un petit développement physique, on ne peut pas se contenter de décrire cette corrélation pour son bel intérêt philosophique ; il ne suffit pas d'aligner des chiffres, il faut savoir ce que ces chiffres nous révèlent, il faut surtout regarder un peu les enfants qui ont été mesurés.
Nous avons voulu, dans une école où nous faisons nos mesures anthropométriques, regarder attentivement quels sont les enfants qui offrent un retard d'au moins deux ans dans leurs mesures. Nous avons fait appeler devant nous tous ces retardés et pour mieux mettre en lumière leur déficience intellectuelle, pour mieux aiguiser notre pouvoir d'observation, nous les avons comparés à des écoliers de même âge, dont le développement était rigoureusement normal. Nous ne connaissions ni les uns, ni les autres, nous ignorions même leurs âges, nous cherchions à deviner quels étaient les chétifs. Le Dr Simon, notre fidèle collaborateur, nous assistait dans cet essai. Nous ne fîmes pas déshabiller les enfants; on se contenta de regarder leur tête et leur aspect général. Le tableau vivant que nous eûmes sous les yeux fut saisissant, à tel point que sur trente enfants, composés mi-partie de normaux, mi-partie de retardés, qui nous furent présentés les uns après les autres, sans qu'on nous apprit leur âge, nous ne nous sommes trompés que six fois; dans les vingt-quatre autres cas, nous avons reconnu les retardés. Ce qui nous guidait surtout, c'était la vue d'ensemble, l'attitude du corps, la coloration de la peau du visage, la forme et l'expression des traits. De tout cela se dégageait une impression indéfinissable de misère physiologique. »
Alfred Binet, Les Idées modernes sur les Enfants, Flammarion, 1909, p.61.

Document 4 : Le Binet Simon de 1911 (Armand Colin – Bourrelier, éditeurs)

Document 5: Le profil psychologique

AjouterProfil d'aptitudes (H. Laugier et D. Weinberg, « Fiche biotypologique pour l'étud des professions, Biotypologie, 6, 1938, p. 123-131) une légende


Document 6 : La mesure du « rendement » scolaire
« Il faudrait suivre les écoliers dans la vie, savoir ce qu'ils deviennent, apprécier leur destinée, et prendre comme terme de comparaison d'autres individus qui ont reçu un enseignement tout différent ou nul. En effet, l'école se juge par ses conséquences postscolaires: elle n'a pas d'autre raison d'être; elle ne se juge pas, ou elle se juge incomplètement, par ses succès d'examens et de concours... » Alfred Binet, Les Idées modernes sur les Enfants, Flammarion, 1909, p. 28.« Nous sommes étonnés d'avoir à constater qu'il nous manque une étude suivie sur la destinée des écoliers, mise en rapport avec l'enseignement qu'ils sont reçu; une large statistique ou, pour mieux dire, une étude sérieuse et approfondie, qui s'appuierait sur des statistiques critiquées, aurait dû être faite depuis longtemps pour nous mettre en mesure de nous rendre compte si l'enseignement que nous donnons est utile ou s'il ne doit pas être modifié. » 
Alfred Binet, Les idées modernes sur les enfants, Flammarion, 1909, p. 29.


  • Naissance de la statistique scolaire

Document 7 : La statistique républicaine
« La statistique scolaire est une des branches de la statistique. Elle a pour objet de compter les écoles, les classes, les maîtres, les élèves ; de les grouper par catégories, de comparer les catégories entre elles, de mesurer, par la comparaison de plusieurs statistiques, les changements qui se sont produits en plus ou en moins, d’apprécier même, dans une certaine mesure, quelques-uns des résultats de l’enseignement. Elle fournit ainsi à l’administration publique des renseignements indispensables, et elle éclaire la nation sur l'état de l’instruction, sur les progrès accomplis, sur les points défectueux ou faibles de son organisation pédagogique ; elle permet d’apprécier les résultats obtenus par certaines mesures législatives, et elle indique quelquefois aux pouvoirs publics des réformes qu’il serait utile d’entreprendre. » 
E. Levasseur, « Statistique scolaire », Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Hachette, 1911.

Document 8 : Annuaire statistique de la France (1878)



B- La mesure de la démocratisation scolaire (1945-1980)

  • Un nouveau contexte scolaire

Document 9 : Plan Langevin-Wallon (1947)
Le premier principe, celui qui par sa valeur propre et l’ampleur de ses conséquences domine tous les autres est le principe de justice. Il offre deux aspects non point opposés mais complémentaires : l’égalité et la diversité. Tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. Ils ne doivent trouver d’autre limitation que celle de leurs aptitudes. L’enseignement doit donc offrir à tous d’égales possibilités de développement, ouvrir à tous l’accès de la culture, se démocratiser moins par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués que par une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la Nation. L’introduction de « la justice à l’école » par la démocratisation de l’enseignement mettra chacun à la place que lui assignent ses aptitudes, pour le grand bien de tous. La diversification des fonctions sera commandée non plus par la fortune ou la classe sociale mais par la capacité à remplir la fonction. La démocratisation de l’enseignement, conforme à la justice, assure une meilleure distribution des tâches sociales. Elle sert l’intérêt collectif en même temps que le bonheur individuel.



Louis Cros, L'explosion scolaire, 





Pressat Roland. Un nouvel annuaire statistique : les « Tableaux de l'éducation nationale». In: Population, 22e année, n°5, 1967 pp. 921-931.


Pressat Roland. Un nouvel annuaire statistique : les « Tableaux de l'éducation nationale». In: Population, 22e année, n°5, 1967 pp. 921-931.
Pressat Roland. Un nouvel annuaire statistique : les « Tableaux de l'éducation nationale». In: Population, 22e année, n°5, 1967 pp. 921-931.

  • L’alliance des scientifiques et de la haute administration 

Le niveau intellectuel des enfants d'âge scolaire. Une enquête nationale dans l’enseignement primaire,
INED, 1950-1954


  • De nouveaux savoirs: les sciences sociales
1904 : « Les Effets sociaux de l’école », Paul Lapie, La Revue scientifique
1936 : Premières statistiques exhaustives sur l’origine sociale des élèves de 6e dans le cadre du recensement des effectifs de l’enseignement du second degré. Ensuite statistique annuelle et dans toutes les classes du « secondaire » public de 1946 à 1963, puis pour certains niveaux en 1967, 1973, 1977, 1980 et la dernière en 1985 avant la mise en place du système d’information Scolarité. Des enquêtes exhaustives de 1947 à 1963
1939 : Premières statistiques exhaustives sur l’origine sociale des étudiants des universités, série annuelle ininterrompue depuis cette date (même si le champ est fluctuant)
1944-1954: INED, A. Girard, Cahier n° 23. Le niveau intellectuel des enfants d’âge scolaire. II. La détermination des aptitudes. L’influence des facteurs constitutionnels, familiaux et sociaux
1962 : INED, suivi de la cohorte de sortants de CM2 en 1962 (commandée par le ministère, cohorte suivie jusqu’en 1967)
1963 : Création d’un service statistique au ministère de l’Éducation nationale
1964 : Publication de Les héritiers, P. Bourdieu et J.-C. Passeron, Éditions de Minuit
1972 : Premier panel d’élèves du ministère de l’Éducation nationale (puis 1973 et 1974, 1978, 1980, 1989, 1995, 1997 et bientôt 2007)


Document 11: La revue Population (1946)



Document 12 : La critique des usages sociaux des statistiques
P. Champaigne, R. Lenoir, D. Merllié, L. Pinto, Initiation à la pratique sociologique, Dunod, 1996.

2. L'Institut de Recherche sur l'Education : Sociologie et Economie de l'Education (IREDU)



C- La mesure de l'efficacité des systèmes scolaires (1980-2000)



  • Élaboration d’indicateurs de pilotage et de performance des établissements scolaires




Document 13 Évaluation des connaissances des élèves mesurés par des tests
Évaluation en seconde - année 1998-1999 
NOR : MENK9801950C 
RLR : 523-2 
CIRCULAIRE N°95-158 DU 23-7-1998 
MEN- DPD D1 
____________________________________
Texte adressé aux recteurs ; aux inspecteurs d'académie, directeurs des services départementaux de l'éducation nationale ; aux inspecteurs pédagogiques régionaux, inspecteurs d'académie ; aux inspecteurs de l'éducation nationale ; aux proviseurs de lycée ; aux professeurs de seconde générale et technologique et de seconde professionnelle. 
________________________________________
OBJECTIFS GÉNÉRAUX
L'évaluation à l'entrée en seconde est destinée à aider les enseignants à apprécier les compétences des jeunes face aux objectifs du lycée. C'est une évaluation diagnostique qui situe le niveau de chaque jeune dans les différentes capacités mises en œuvre dans les enseignements du lycée ; il est donc normal que celles-ci ne soient pas totalement maîtrisées à l'entrée en seconde. Elle conduit à une analyse qui permet d'identifier les besoins de chaque élève. Les professeurs disposent ainsi d'éléments importants pour adapter à leurs élèves leur progression pédagogique, l'organisation et le contenu des modules.

En cours d'année, les outils d'aide à l'évaluation mis au point sur la base des mêmes tableaux de capacité que l'évaluation de début d'année donnent aux enseignants les moyens d'apprécier les progrès réalisés par les élèves, et des éléments pour adapter leurs enseignements.


Document 14: La polémique sur les évaluations du primaire vue par un historien
Non aux évaluations de CE1!
09 mai 2011 | Par claude lelièvre - Mediapart.fr
Dans un contexte de décisions qui rendent de plus en plus clair l’objectif recherché d’une évaluation en fin de CE1, la principale fédération de parents d’élèves ( la FCPE ) appelle au combat contre la poursuite de sa mise en œuvre.
Lorsque les évaluations par tests nationaux ont commencé au début des années 90 ( en CE2 et en sixième ) elles ont été programmées en début d’année scolaire, car elles avaient clairement un objectif ‘’diagnostic’’ qui pouvait être clairement affiché.
Ces dernières années, on a commencé par ‘’remplacer’’ l’évaluation de début de CE2 ( début du troisième cycle de l’enseignement élémentaire ) par celle de fin de CE1 ( fin du deuxième cycle de l’enseignement primaire ). C’était quelque peu étrange, mais l’objectif ne pouvait pas encore être clair ( sauf pour les initiés ).
Ensuite on a ‘’remplacé’’ l’évaluation de début de sixième ( début du collège ) par une évaluation au milieu du CM2. C’était encore plus étrange ( une évaluation en plein milieu d’année ), mais on n’avait pas osé aller franchement jusqu’à la logique du déplacement effectué car cela aurait trop rendu visible ce qui était cherché : acclimater petit à petit une évaluation terminale de l’école élémentaire, prélude à un retour à un examen d’entrée en sixième.
Depuis, une partie de la droite politique a clairement affiché qu’il convenait d’aller dans cette direction rétroactive ( en sens contraire de tout ce qui a été mis en place durant les années gaulliennes de la cinquième République ).Et Jean-François Copé a dit récemment tout haut ( fin octobre dernier ) ce que beaucoup de ceux là pensaient tout bas : « l’entrée au collège ne doit se faire que pour l’enfant qui maîtrise totalement les savoirs fondamentaux : mon idée est de créer un examen de fin de CM2, d’évaluation des enfants ; ce serait un examen de passage en sixième ». Du coup, il est pratiquement ‘’acquis’’ que les prochaines évaluations de CM2 auront lieu en fin d’année..
Enfin, il a été annoncé tout dernièrement qu’une évaluation en fin de cinquième devrait désormais être mise en place ( en concomitance remarquable avec l’annonce de plusieurs nouveaux dispositifs de ‘’dispatching’’ pour les deux dernières années du collège : pré-orientation professionnelle dès la quatrième,  troisième ’’prépa-pro’’).
La boucle est bouclée, et tout devrait être désormais très clair. Mais les commentaires dans les médias des hauts responsables du ministère s’efforcent toujours de ‘’noyer le poisson’’ de façon pathétique ( et cynique ) en raison des difficultés prévisibles ( non résolues d’avance ) de la mise en place effective de cette politique d’ensemble, parmi lesquelles on ne peut compter pour négligeables les réactions des ‘’intéressés’’, en premier lieu celles des parents d’élèves.
Dans ces conditions, on ne devrait pas s’étonner de la prise de position très claire de la FCPE.
http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-lelievre/090511/non-aux-evaluations-de-ce1


  • La diffusion du benchmarking

Mattea Battaglia, "Pourquoi l’école française n’a pas connu de « choc PISA »", Le Monde, 08.10.2016. 

PISA dans la presse
Source: www.lanouvellerepublique.fr, 4 décembre 2013
Source: www.midilibre.fr, 05 avril 2014




Exemple de traitement journalistique dans Le Monde (03.12.2013): Classement PISA : la France championne des inégalités scolaires
Le Monde, 03.12.2013)